Avec le nouveau millénaire, les sociétés ont à relever de nouveaux défis. Sacrifiés sur l’hôtel de la logique des marchés économiques ou du leadership politique, les besoins des êtres humains et de la planète d’une manière générale ont été ignorés par les membres des grandes puissances économiques voulant continuer à augmenter leur patrimoine matériel. Un tel cours des choses pourrait conduire à de plus en plus d’égoïsme, à un creusement des écarts entre ceux qui sont les plus heureux et ceux qui le sont le moins, et éventuellement au chaos et au désespoir. C’est à ce niveau que les sciences sociales et comportementales peuvent jouer un rôle extrêmement important. Elles peuvent permettre une articulation entre une vision de ce que serait une vie belle tout en étant compréhensible et attractive. Elles peuvent permettre de montrer quels types d’actions peuvent conduire au bien-être, à des individus ayant une vision positive des choses, et à des communautés florissantes. La psychologie devrait permettre d’identifier dans quelles conditions les familles produisent des enfants épanouis, quels types d’organisations permettent d’obtenir la meilleure satisfaction au travail pour les personnels, quel type de politique permet d’obtenir le meilleur engagement civique, et comment faire pour que la vie vaille plus le coup d’être vécue. Jusqu’à présent, les psychologues ont analysé des connaissances qui font que la vie vaut d’être vécue. Ils ont commencé à comprendre comment les individus survivent à ou sont capables d’endurer des épreuves difficiles (pour une revue concernant l’histoire de la psychologie, voir par exemple Benjamin, 1992 ; Koch & Leary, 1985 ; et Smith, 1997). Cependant, les psychologues ne savent que bien peu de choses pour ce qui concerne les individus « normaux », et comment ils s’épanouissent dans des conditions plus habituelles. Depuis la 2ème Guerre mondiale, la psychologie est devenue une science largement centrée sur la guérison. Elle s’est focalisée sur le traitement des lésions en s’inscrivant dans un modèle du fonctionnement de l’être humain fondé sur la maladie. Cette attention quasi exclusive portée sur la pathologie néglige les individus épanouis et les communautés florissantes. L’objectif de la Psychologie Positive est de commencer à catalyser un changement dans l’optique de la psychologie en la faisant passer d’une centration exclusive sur la pathologie et le traitement des pires choses pouvant arriver dans la vie, à une centration sur ce qui permet de construire des qualités positives. Le domaine de la Psychologie Positive à un niveau subjectif concerne la valorisation des expériences subjectives : le bien-être, la satisfaction (dans le passé), l’espoir, l’optimisme (pour le futur), les états de grâce et le bonheur (pour le présent). A un niveau individuel, il s’agit des traits de personnalité positifs : la capacité d’aimer et de trouver sa vocation, le courage, les habiletés interpersonnelles, la sensibilité esthétique, la persévérance, la capacité à pardonner, l’originalité, la conscience du futur, la spiritualité, le talent et la sagesse. Au niveau du groupe, il s’agit des vertus civiques et des institutions qui incitent les individus à une meilleure citoyenneté : la responsabilité, la capacité à prendre soin des autres, l’altruisme, la courtoisie, la modération, la tolérance, et l’étique au travail.
Deux histories personnelles qui sont arrivées à deux des auteurs de cette introduction vont permettre d’illustrer ce qui les a conduit à avoir la conviction qu’une orientation vers la Psychologie Positive était indispensable, ce qui justifie aussi cet ouvrage.
Pour Martin Seligman c’était peu avant qu’il soit élu à la Présidence de l’American Psychological Association. Cela s’est produit alors qu’il était dans son jardin avec fille de cinq ans, Nikki. Bien qu’ayant écrit des ouvrages au sujet des enfants, il avoua qu’il ne savait pas du tout s’y prendre avec eux. Il est toujours très occupé et sous stress, et quand il est en train de désherber dans le jardin, il n’arrête que dans c’est terminé. Malgré cela, Nikki, était en train de jeter de l’herbe en l’air, en chantant et dansant. Il lui a crié après. Elle est partie et quand elle est revenue, elle lui a dit :
« Papa, il faut que je te parle. »
« Oui, Nikki ? »
« Papa, tu te rappelles juste avant mon cinquième anniversaire ? Quand j’avais entre trois et cinq ans, j’étais une vraie pleunicharde. Et quand j’ai eu cinq ans, j’ai décidé de ne plus jamais pleurer. Cela a été la chose la plus difficile que j’ai faite. Alors si je peux décider d’arrêter de pleurer, tu peux arrêter d’être un tel grincheux. »
Cela a été une révélation pour lui, rien de moins. Il a appris quelque chose au sujet de Nikki, dans la manière d’élever les enfants, de lui-même, et quelque chose de très important pour son travail. D’abord, il s’est rendu compte qu’élever Nikki ne devait pas consister à la reprendre pour ne plus qu’elle pleure. Nikki avait fait cela d’elle-même. Il s’est plutôt rendu compte qu’élever Nikki consistait à s’appuyer sur cette force merveilleuse qu’elle avait – qu’il a appelé capacité à voir dans en elle-même – en l’amplifiant, en l’augmentant, de manière à l’aider à diriger sa vie et à atténuer ses faiblesses et les tourments de la vie. Il s’est rendu compte qu’élever des enfants, c’est bien plus que déterminer ce qui est bien et ce qui est mal en eux. C’est identifier et faire grandir leurs plus grandes qualités, ce qu’ils possèdent et là où ils sont les meilleurs, de les aider à trouver les domaines dans lesquels ils pourront exprimer leurs forces aux mieux. Comme pour sa propre vie, Nikki a mis le doigt dessus. Il était un grincheux. Il avait passé 50 ans à affronter les embruns dans mon âme, et les 10 dernières années à être un cumulo-nimbus dans une maison remplie de soleil. La chance qu’il avait ne résidait sans doute pas dans son caractère bourru mais malgré lui. A ce moment, il s’est résolu à changer. Toutefois, la plus grande implication de l’enseignement que lui a apporté Nikki était en relation avec la psychologie scientifique et pratique. Avant la seconde guerre mondiale, la psychologie avait trois missions distinctes : soigner la maladie mentale, faire en sorte que la vie de chacun soit plus productive et remplie, et détecter les talents et les faire progresser. L’accent a été mis très tôt sur la psychologie positive comme par exemple les travaux de Terman sur les talents (Terman, 1939) et le bonheur conjugal (Terman, Buttenwieser, Ferguson, Johnson,, & Wilson, 1938), les écrits de Watson sur l’éducation efficace (Watson, 1928), et les travaux de Jung concernant la recherche et la découverte du sens de la vie Jung (1933). Juste après la guerre, deux événements – les deux économiques – ont changé le visage de la psychologie. En 1946, le ministère des anciens combattants (Veterans Affairs) a été crée aux Etats-Unis, et des milliers de psychologues ont découvert qu’ils pourraient traiter la maladie mentale pendant toute leur vie. En 1947, l’institut national de la santé mentale, aux Etats-Unis également (qui, malgré son appellation était centrée sur un modèle de la maladie et qui devrait être plutôt rebaptisé institut national de la maladie mentale), a été fondé, et les universitaires ont appris qu’ils pourraient obtenir des prix si leurs travaux traitaient de la pathologie. Cela a été très bénéfique. Des avancées considérables ont été réalisées dans la compréhension et le traitement des maladies mentales : au moins 14 maladies, précédemment difficiles à traiter, ont livré leurs secrets à la science et peuvent maintenant être soignées ou considérablement soulagées (Seligman, 1994). La contrepartie malgré tout, a été que les autres missions fondamentales de la psychologie – faire en sorte que chacun ait une vie meilleure et développer les talents – ont toutes deux été oubliées. Ce n’est pas uniquement la manière dont ces sujets ont été financés qui a eu un effet délétère, mais la crédibilité des théories sous-jacentes à la manière dont les psychologues se percevaient. Ils en étaient arrivés à se considérer simplement comme une sous catégorie des métiers de la santé, et la psychologie est devenue une sorte de victimologie. Les psychologues ont considéré les être humains comme des centres d’intérêt passifs : un stimulus survenait et provoquait des réponses (quel monde extraordinairement passif !). Les renforcements externes affaiblissaient ou augmentaient les réponses. Pulsions, besoins, instincts, et conflits de l’enfance bousculent chacun d’entre nous. Le centre d’intérêt de la psychologie a glissé petit à petit vers la détection et le traitement de la souffrance des individus. Il y a eu une explosion des recherches sur les désordres psychologiques et les effets négatifs des éléments de stress liés à l’environnement, comme le divorce des parents, le décès d’une personne aimée, les abus physiques et sexuels. Les praticiens se sont engagés dans le traitement des maladies mentales des patients au moyen de cadres destinés à réparer les dommages : des habitudes endommagées, des instincts endommagés, des enfances endommagées, et des cerveaux endommagés.
Mihaly Csikszentmihalyi s’est rendu compte de la nécessité d’une psychologie positive durant la seconde guerre mondiale en Europe. Alors qu’il était enfant, il a été le témoin de la dissolution du monde dans lequel il s’était confortablement installé. Il avait remarqué avec surprise combien des adultes qu’il avait connus, sûrs d’eux et réussissant dans leur vie, étaient devenus impuissants et désespérés dès lors qu’ils avaient perdu leurs repères sociaux. Sans travail, ni argent, et sans aucun prestige, ils étaient réduits à être comme des coquilles vides. Il y en avait pourtant qui avaient conservé leur intégrité et leurs buts malgré le chaos environnant. Leur sérénité était comme un phare qui permettait aux autres de garder espoir. Ils n’étaient pas les hommes ni les femmes dont on se serait attendu à ce qu’ils s’en sortent indemnes. Ils n’étaient pas forcément les plus respectés, ceux ayant le niveau d’étude le plus élevé, ou les plus habiles. Cette expérience l’a conduit à se demander de quelle source ces individus tiraient leurs forces. Lire des ouvrages de philosophie, d’histoire ou de religion ne lui a pas apporté de réponse satisfaisante à cette question. Il trouvait que les idées développées dans ces textes étaient trop subjectives, dépendaient trop de la foi ou d’hypothèses douteuses. Elles manquaient d’un scepticisme clairvoyant et de la lente évolution qu’il associait à celle de la science. Ainsi, pour la première fois, il s’est orienté vers la psychologie, d’abord avec les écrits de Jung, puis de Freud, puis enfin des quelques psychologues ayant écrit en Europe dans les années 1950. A partir de là, il a considéré qu’il était possible d’avoir des réponses à ses questions – une discipline qui traiterait des enjeux fondamentaux de la vie avec la simplicité des sciences naturelles.
Cependant, à cette époque la psychologie n’était pas encore une discipline reconnue. En Italie, où il vivait, il n’était possible que de la prendre comme enseignement optionnel dans le cadre des diplômes de médecine ou de philosophie, et il a donc décidé de venir aux USA où elle avait gagné une plus grande reconnaissance. Les premiers cours qu’il a suivis ont été un choc. Il s’avérait qu’aux USA, la psychologie était devenue une science, si l’on considère qu’une science nécessite un scepticisme de bon aloi et doit se pencher sur le problème de la mesure. Ce qui semblait manquer pourtant était une vision justifiant l’attitude et la méthodologie. Il cherchait une approche scientifique de la compréhension du comportement humain, mais il n’avait jamais imaginé que cela puisse conduire à une compréhension objective. Dans le comportement humain, ce qui est le plus fascinant, ce ne sont pas les moyennes, mais ce qui est improbable. Un très petit nombre de personnes a conservé son sens moral durant l’agression qu’a été la seconde guerre mondiale, pourtant ils étaient aussi les quelques uns qui possédaient les clés permettant aux humains de donner le meilleur d’eux-mêmes. Cependant, au sommet de sa phase comportementale, la psychologie était conçue comme si elle était une branche des mécanismes statistiques. Depuis, il s’est donné du mal pour concilier les deux impératifs qu’une science des être humains devrait intégrer : comprendre ce qui est et ce qui pourrait être. Une décennie plus tard, la troisième voie annoncée par Abraham Maslow, Carl Rogers, et d’autres psychologues humanistes promettait d’ajouter une nouvelle perspective aux inébranlables approches cliniques et behavioristes. La vision humaniste généreuse a eu un effet fort sur la culture au sens large et a tenu une énorme promesse. Malheureusement, la psychologie humaniste n’a pas attiré beaucoup de la base empirique, et elle a engendré une myriade de mouvements de thérapies dans lesquelles il fallait se débrouiller seul. Dans certaines de ses incarnations, elle a permis une affirmation de soi et encouragé la centration sur soi ce qui a minimisé les sujets en relation avec le bien-être collectif. Les débats futurs devront déterminer si cela s’est produit à cause de Maslow ou Rogers qui étaient en avance sur leur époque, parce que ces défauts sont inhérents à leur vision originale, ou à cause de l’enthousiasme de leurs très nombreux successeurs. Cependant, l’un des héritages de l’humanisme des années 1960 est mis en évidence dans n’importe quelle grande librairie, le rayon « Psychologie » prenant en effet de plus en plus d’importance, tant dans le domaine de l’éducation à des destination des parents ou des enseignants, que dans celui de la psychologie au travail ou tout autre environnement.
Quelles que soient les origines des convictions concernant le fait que l’heure est venue pour une psychologie positive, le message est de rappeler aux acteurs du champ que la psychologie n’est pas seulement l’étude des pathologies, des manques ou des traumatismes, c’est aussi l’étude des forces et des vertus. Le traitement ne consiste pas uniquement à déterminer ce qui ne va pas, c’est aussi développer le meilleur. La psychologie n’est pas seulement une branche de la médecine orientée vers la maladie ou la santé, il ne s’agit pas que de cela. Il s’agit aussi de travail, d’éducation, de compréhension de soi, d’amour, de développement, et de jeu. Et à la question de savoir ce qui est le mieux, il ne s’agit pas en psychologie positive de prendre ses désirs pour des réalités, de confiance, d’aveuglement, ou de manies. Il s’agit d’adapter ce qu’il y a de meilleur dans les méthodes scientifiques aux problèmes spécifiques que présente le comportement humain, à ceux qui souhaitent le comprendre dans toute sa complexité. C’est la prévention que cette approche met au premier plan. Dans la dernière décennie, les psychologues se sont sentis concernés par cette notion, et c’est le thème qui a été retenu pour la convention de l’APA qui s’est déroulée à San Francisco en 1998. Comment les psychologues peuvent-ils prévenir la dépression, l’abus de substances ou la schizophrénie chez les jeunes qui sont génétiquement vulnérables ou qui vivent dans un environnement propice à ce genre de phénomènes ? Comment les psychologues peuvent-ils prévenir les comportements meurtriers dans le milieu scolaire lorsque les enfants ont accès à des armes, peu de soutien familial, et un penchant à la cruauté ? Ce que les psychologues ont appris depuis plus de 50 ans c’est que le modèle de la maladie n’a pas permis à la psychologie de s’orienter vers la prévention de ces problèmes sérieux. En effet, les avancées principales sont venues d’une perspective centrée sur la construction systématique de la compétence, pas sur la correction des manques. Les chercheurs dans le domaine de la prévention ont découvert qu’il y a des forces dans le caractère humain qui le préservent de la maladie mentale : le courage, l’optimisme, les habiletés interpersonnelles, le fait d’être orienté vers le futur, la foi, l’éthique au travail, l’espoir, l’honnêteté, la persévérance, et la capacité à éprouver des états de grâce et à se connaître, pour en nommer quelques unes. La tâche principale de la prévention dans ce nouveau millénaire va être de créer une science des forces humaines dont la mission sera de comprendre et d’apprendre comment développer ces vertus chez les plus jeunes. Toutefois, travailler exclusivement sur les manques personnels et sur les cerveaux endommagés a produit une science peu adaptée pour prévenir effectivement la maladie. Les psychologues ont besoin maintenant de faire appel à des recherches importantes sur les forces humaines et les vertus, à l’instar de celles réalisées par Peterson et Seligman (2004). Les praticiens ont besoin de reconnaître qu’une grande part de leur travail le plus efficace lors de leurs consultations consiste plus à amplifier les forces qu’à combler les manques de leurs patients. Les psychologues travaillant avec des familles, des écoles, des communautés religieuses, et des corporations ont besoin de développer des climats propices au développement de ces forces. Les théories majeures dans le domaine de la psychologie ont permis de développer une nouvelle science de la force et de la résilience. Les théories dominantes ne voient plus les individus comme des êtres passifs répondant à des stimuli mais plutôt comme étant des preneurs de décision, avec des choix, des préférences, avec la possibilité d’apprendre, d’être efficaces, ou dans des circonstances difficiles, d’être impuissants ou désespérés (Bandura, 1986 ; Seligman, 1992). La science et la pratique qui dépendent de cette vision du monde pourraient avoir un effet direct dans la prévention de plusieurs des désordres émotionnels majeurs. Elles pourraient également avoir deux effets annexes. Elles pourraient rendre la vie physique des patients plus saine, étant donné tous ce que les psychologues ont appris en termes d’effets du bien-être mental sur le corps. Cette science et cette pratique vont aussi ré-orienter la psychologie vers deux de ses missions qui ont été négligées : rendre les individus « normaux » plus forts et plus productifs, et détecter les talents pour les optimiser.
Ces anecdotes ont conduit les deux fondateurs de la Psychologie Positive que sont Martin Seligman et Mihaly Csikszentmihalyi à reconsidérer ce que pouvait être la psychologie. Leurs positions ont eu un impact considérable sur le développement de ce champ. Nombreux sont les chercheurs qu’ils ont entraînés dans leur sillage depuis une vingtaine d’année, et nombreuses également les thématiques qui ont été développées.
Deux histories personnelles qui sont arrivées à deux des auteurs de cette introduction vont permettre d’illustrer ce qui les a conduit à avoir la conviction qu’une orientation vers la Psychologie Positive était indispensable, ce qui justifie aussi cet ouvrage.
Pour Martin Seligman c’était peu avant qu’il soit élu à la Présidence de l’American Psychological Association. Cela s’est produit alors qu’il était dans son jardin avec fille de cinq ans, Nikki. Bien qu’ayant écrit des ouvrages au sujet des enfants, il avoua qu’il ne savait pas du tout s’y prendre avec eux. Il est toujours très occupé et sous stress, et quand il est en train de désherber dans le jardin, il n’arrête que dans c’est terminé. Malgré cela, Nikki, était en train de jeter de l’herbe en l’air, en chantant et dansant. Il lui a crié après. Elle est partie et quand elle est revenue, elle lui a dit :
« Papa, il faut que je te parle. »
« Oui, Nikki ? »
« Papa, tu te rappelles juste avant mon cinquième anniversaire ? Quand j’avais entre trois et cinq ans, j’étais une vraie pleunicharde. Et quand j’ai eu cinq ans, j’ai décidé de ne plus jamais pleurer. Cela a été la chose la plus difficile que j’ai faite. Alors si je peux décider d’arrêter de pleurer, tu peux arrêter d’être un tel grincheux. »
Cela a été une révélation pour lui, rien de moins. Il a appris quelque chose au sujet de Nikki, dans la manière d’élever les enfants, de lui-même, et quelque chose de très important pour son travail. D’abord, il s’est rendu compte qu’élever Nikki ne devait pas consister à la reprendre pour ne plus qu’elle pleure. Nikki avait fait cela d’elle-même. Il s’est plutôt rendu compte qu’élever Nikki consistait à s’appuyer sur cette force merveilleuse qu’elle avait – qu’il a appelé capacité à voir dans en elle-même – en l’amplifiant, en l’augmentant, de manière à l’aider à diriger sa vie et à atténuer ses faiblesses et les tourments de la vie. Il s’est rendu compte qu’élever des enfants, c’est bien plus que déterminer ce qui est bien et ce qui est mal en eux. C’est identifier et faire grandir leurs plus grandes qualités, ce qu’ils possèdent et là où ils sont les meilleurs, de les aider à trouver les domaines dans lesquels ils pourront exprimer leurs forces aux mieux. Comme pour sa propre vie, Nikki a mis le doigt dessus. Il était un grincheux. Il avait passé 50 ans à affronter les embruns dans mon âme, et les 10 dernières années à être un cumulo-nimbus dans une maison remplie de soleil. La chance qu’il avait ne résidait sans doute pas dans son caractère bourru mais malgré lui. A ce moment, il s’est résolu à changer. Toutefois, la plus grande implication de l’enseignement que lui a apporté Nikki était en relation avec la psychologie scientifique et pratique. Avant la seconde guerre mondiale, la psychologie avait trois missions distinctes : soigner la maladie mentale, faire en sorte que la vie de chacun soit plus productive et remplie, et détecter les talents et les faire progresser. L’accent a été mis très tôt sur la psychologie positive comme par exemple les travaux de Terman sur les talents (Terman, 1939) et le bonheur conjugal (Terman, Buttenwieser, Ferguson, Johnson,, & Wilson, 1938), les écrits de Watson sur l’éducation efficace (Watson, 1928), et les travaux de Jung concernant la recherche et la découverte du sens de la vie Jung (1933). Juste après la guerre, deux événements – les deux économiques – ont changé le visage de la psychologie. En 1946, le ministère des anciens combattants (Veterans Affairs) a été crée aux Etats-Unis, et des milliers de psychologues ont découvert qu’ils pourraient traiter la maladie mentale pendant toute leur vie. En 1947, l’institut national de la santé mentale, aux Etats-Unis également (qui, malgré son appellation était centrée sur un modèle de la maladie et qui devrait être plutôt rebaptisé institut national de la maladie mentale), a été fondé, et les universitaires ont appris qu’ils pourraient obtenir des prix si leurs travaux traitaient de la pathologie. Cela a été très bénéfique. Des avancées considérables ont été réalisées dans la compréhension et le traitement des maladies mentales : au moins 14 maladies, précédemment difficiles à traiter, ont livré leurs secrets à la science et peuvent maintenant être soignées ou considérablement soulagées (Seligman, 1994). La contrepartie malgré tout, a été que les autres missions fondamentales de la psychologie – faire en sorte que chacun ait une vie meilleure et développer les talents – ont toutes deux été oubliées. Ce n’est pas uniquement la manière dont ces sujets ont été financés qui a eu un effet délétère, mais la crédibilité des théories sous-jacentes à la manière dont les psychologues se percevaient. Ils en étaient arrivés à se considérer simplement comme une sous catégorie des métiers de la santé, et la psychologie est devenue une sorte de victimologie. Les psychologues ont considéré les être humains comme des centres d’intérêt passifs : un stimulus survenait et provoquait des réponses (quel monde extraordinairement passif !). Les renforcements externes affaiblissaient ou augmentaient les réponses. Pulsions, besoins, instincts, et conflits de l’enfance bousculent chacun d’entre nous. Le centre d’intérêt de la psychologie a glissé petit à petit vers la détection et le traitement de la souffrance des individus. Il y a eu une explosion des recherches sur les désordres psychologiques et les effets négatifs des éléments de stress liés à l’environnement, comme le divorce des parents, le décès d’une personne aimée, les abus physiques et sexuels. Les praticiens se sont engagés dans le traitement des maladies mentales des patients au moyen de cadres destinés à réparer les dommages : des habitudes endommagées, des instincts endommagés, des enfances endommagées, et des cerveaux endommagés.
Mihaly Csikszentmihalyi s’est rendu compte de la nécessité d’une psychologie positive durant la seconde guerre mondiale en Europe. Alors qu’il était enfant, il a été le témoin de la dissolution du monde dans lequel il s’était confortablement installé. Il avait remarqué avec surprise combien des adultes qu’il avait connus, sûrs d’eux et réussissant dans leur vie, étaient devenus impuissants et désespérés dès lors qu’ils avaient perdu leurs repères sociaux. Sans travail, ni argent, et sans aucun prestige, ils étaient réduits à être comme des coquilles vides. Il y en avait pourtant qui avaient conservé leur intégrité et leurs buts malgré le chaos environnant. Leur sérénité était comme un phare qui permettait aux autres de garder espoir. Ils n’étaient pas les hommes ni les femmes dont on se serait attendu à ce qu’ils s’en sortent indemnes. Ils n’étaient pas forcément les plus respectés, ceux ayant le niveau d’étude le plus élevé, ou les plus habiles. Cette expérience l’a conduit à se demander de quelle source ces individus tiraient leurs forces. Lire des ouvrages de philosophie, d’histoire ou de religion ne lui a pas apporté de réponse satisfaisante à cette question. Il trouvait que les idées développées dans ces textes étaient trop subjectives, dépendaient trop de la foi ou d’hypothèses douteuses. Elles manquaient d’un scepticisme clairvoyant et de la lente évolution qu’il associait à celle de la science. Ainsi, pour la première fois, il s’est orienté vers la psychologie, d’abord avec les écrits de Jung, puis de Freud, puis enfin des quelques psychologues ayant écrit en Europe dans les années 1950. A partir de là, il a considéré qu’il était possible d’avoir des réponses à ses questions – une discipline qui traiterait des enjeux fondamentaux de la vie avec la simplicité des sciences naturelles.
Cependant, à cette époque la psychologie n’était pas encore une discipline reconnue. En Italie, où il vivait, il n’était possible que de la prendre comme enseignement optionnel dans le cadre des diplômes de médecine ou de philosophie, et il a donc décidé de venir aux USA où elle avait gagné une plus grande reconnaissance. Les premiers cours qu’il a suivis ont été un choc. Il s’avérait qu’aux USA, la psychologie était devenue une science, si l’on considère qu’une science nécessite un scepticisme de bon aloi et doit se pencher sur le problème de la mesure. Ce qui semblait manquer pourtant était une vision justifiant l’attitude et la méthodologie. Il cherchait une approche scientifique de la compréhension du comportement humain, mais il n’avait jamais imaginé que cela puisse conduire à une compréhension objective. Dans le comportement humain, ce qui est le plus fascinant, ce ne sont pas les moyennes, mais ce qui est improbable. Un très petit nombre de personnes a conservé son sens moral durant l’agression qu’a été la seconde guerre mondiale, pourtant ils étaient aussi les quelques uns qui possédaient les clés permettant aux humains de donner le meilleur d’eux-mêmes. Cependant, au sommet de sa phase comportementale, la psychologie était conçue comme si elle était une branche des mécanismes statistiques. Depuis, il s’est donné du mal pour concilier les deux impératifs qu’une science des être humains devrait intégrer : comprendre ce qui est et ce qui pourrait être. Une décennie plus tard, la troisième voie annoncée par Abraham Maslow, Carl Rogers, et d’autres psychologues humanistes promettait d’ajouter une nouvelle perspective aux inébranlables approches cliniques et behavioristes. La vision humaniste généreuse a eu un effet fort sur la culture au sens large et a tenu une énorme promesse. Malheureusement, la psychologie humaniste n’a pas attiré beaucoup de la base empirique, et elle a engendré une myriade de mouvements de thérapies dans lesquelles il fallait se débrouiller seul. Dans certaines de ses incarnations, elle a permis une affirmation de soi et encouragé la centration sur soi ce qui a minimisé les sujets en relation avec le bien-être collectif. Les débats futurs devront déterminer si cela s’est produit à cause de Maslow ou Rogers qui étaient en avance sur leur époque, parce que ces défauts sont inhérents à leur vision originale, ou à cause de l’enthousiasme de leurs très nombreux successeurs. Cependant, l’un des héritages de l’humanisme des années 1960 est mis en évidence dans n’importe quelle grande librairie, le rayon « Psychologie » prenant en effet de plus en plus d’importance, tant dans le domaine de l’éducation à des destination des parents ou des enseignants, que dans celui de la psychologie au travail ou tout autre environnement.
Quelles que soient les origines des convictions concernant le fait que l’heure est venue pour une psychologie positive, le message est de rappeler aux acteurs du champ que la psychologie n’est pas seulement l’étude des pathologies, des manques ou des traumatismes, c’est aussi l’étude des forces et des vertus. Le traitement ne consiste pas uniquement à déterminer ce qui ne va pas, c’est aussi développer le meilleur. La psychologie n’est pas seulement une branche de la médecine orientée vers la maladie ou la santé, il ne s’agit pas que de cela. Il s’agit aussi de travail, d’éducation, de compréhension de soi, d’amour, de développement, et de jeu. Et à la question de savoir ce qui est le mieux, il ne s’agit pas en psychologie positive de prendre ses désirs pour des réalités, de confiance, d’aveuglement, ou de manies. Il s’agit d’adapter ce qu’il y a de meilleur dans les méthodes scientifiques aux problèmes spécifiques que présente le comportement humain, à ceux qui souhaitent le comprendre dans toute sa complexité. C’est la prévention que cette approche met au premier plan. Dans la dernière décennie, les psychologues se sont sentis concernés par cette notion, et c’est le thème qui a été retenu pour la convention de l’APA qui s’est déroulée à San Francisco en 1998. Comment les psychologues peuvent-ils prévenir la dépression, l’abus de substances ou la schizophrénie chez les jeunes qui sont génétiquement vulnérables ou qui vivent dans un environnement propice à ce genre de phénomènes ? Comment les psychologues peuvent-ils prévenir les comportements meurtriers dans le milieu scolaire lorsque les enfants ont accès à des armes, peu de soutien familial, et un penchant à la cruauté ? Ce que les psychologues ont appris depuis plus de 50 ans c’est que le modèle de la maladie n’a pas permis à la psychologie de s’orienter vers la prévention de ces problèmes sérieux. En effet, les avancées principales sont venues d’une perspective centrée sur la construction systématique de la compétence, pas sur la correction des manques. Les chercheurs dans le domaine de la prévention ont découvert qu’il y a des forces dans le caractère humain qui le préservent de la maladie mentale : le courage, l’optimisme, les habiletés interpersonnelles, le fait d’être orienté vers le futur, la foi, l’éthique au travail, l’espoir, l’honnêteté, la persévérance, et la capacité à éprouver des états de grâce et à se connaître, pour en nommer quelques unes. La tâche principale de la prévention dans ce nouveau millénaire va être de créer une science des forces humaines dont la mission sera de comprendre et d’apprendre comment développer ces vertus chez les plus jeunes. Toutefois, travailler exclusivement sur les manques personnels et sur les cerveaux endommagés a produit une science peu adaptée pour prévenir effectivement la maladie. Les psychologues ont besoin maintenant de faire appel à des recherches importantes sur les forces humaines et les vertus, à l’instar de celles réalisées par Peterson et Seligman (2004). Les praticiens ont besoin de reconnaître qu’une grande part de leur travail le plus efficace lors de leurs consultations consiste plus à amplifier les forces qu’à combler les manques de leurs patients. Les psychologues travaillant avec des familles, des écoles, des communautés religieuses, et des corporations ont besoin de développer des climats propices au développement de ces forces. Les théories majeures dans le domaine de la psychologie ont permis de développer une nouvelle science de la force et de la résilience. Les théories dominantes ne voient plus les individus comme des êtres passifs répondant à des stimuli mais plutôt comme étant des preneurs de décision, avec des choix, des préférences, avec la possibilité d’apprendre, d’être efficaces, ou dans des circonstances difficiles, d’être impuissants ou désespérés (Bandura, 1986 ; Seligman, 1992). La science et la pratique qui dépendent de cette vision du monde pourraient avoir un effet direct dans la prévention de plusieurs des désordres émotionnels majeurs. Elles pourraient également avoir deux effets annexes. Elles pourraient rendre la vie physique des patients plus saine, étant donné tous ce que les psychologues ont appris en termes d’effets du bien-être mental sur le corps. Cette science et cette pratique vont aussi ré-orienter la psychologie vers deux de ses missions qui ont été négligées : rendre les individus « normaux » plus forts et plus productifs, et détecter les talents pour les optimiser.
Ces anecdotes ont conduit les deux fondateurs de la Psychologie Positive que sont Martin Seligman et Mihaly Csikszentmihalyi à reconsidérer ce que pouvait être la psychologie. Leurs positions ont eu un impact considérable sur le développement de ce champ. Nombreux sont les chercheurs qu’ils ont entraînés dans leur sillage depuis une vingtaine d’année, et nombreuses également les thématiques qui ont été développées.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire